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 L’interprétation évolutive de l’article 3 par la Cour ESDH

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Sonal Colas de La Noue
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MessageSujet: L’interprétation évolutive de l’article 3 par la Cour ESDH   L’interprétation évolutive de l’article 3 par la Cour ESDH Icon_minitimeLun 21 Mai - 16:33

L’interprétation évolutive de l’article 3 par la Cour européenne des droits de l’homme






Si la torture a été définie par la Convention sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 comme « un acte par lequel des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne par un agent de la fonction publique, ou à son instigation, dans un but déterminé (aveu, punition, intimidation, etc.) », cette définition laissait dans l’ombre les notions de traitements inhumains ou dégradants.

Ce sont donc les organes européens qui ont précisé les trois concepts visés par l’article 3 en se fondant sur deux critères, lesquels ont ensuite fait l’objet d’une évolution, tant de leur définition, que de leur mode de preuve.


I. Les critères de définition :


Selon une jurisprudence désormais bien établie, « pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité, et l’appréciation de ce minimum est relatif par essence. »
Deux critères sont ainsi énoncés : Le critère du seuil de gravité et celui de l’appréciation relative.

A.Le critère du seuil de gravité :

Le critère du seuil de gravité a été posé par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans une décision Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978. Selon la juridiction, pour tomber sous le coup de l’interdiction, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité.
Ce critère a donc pour fonction initiale de déterminer l’applicabilité de l’article 3, ce texte n’entrant en jeu que si la souffrance infligée dépasse le seuil d’intensité minimum.

Ainsi par exemple, dans une décision Soering du 7 juillet 1989, la Cour européenne des Droits de l’Homme juge que la longue attente de l’exécution de la peine capitale par un condamné à mort dans « le couloir de la mort » constitue un traitement dépassant le seuil fixé par l’article 3 de la Convention.

Le critère de l’intensité des souffrances a également permis de procéder à une distinction entre les concepts visés par l’article 3 :

-le traitement inhumain a été défini par la Cour dans l’arrêt Tyrer contre Royaume-Uni du 25 avril 1978 comme celui qui provoque volontairement des souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière.

-le terme de torture doit être réservé à « des traitements inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances » (arrêt Irlande contre Royaume-Uni).

-Quant aux traitements dégradants, il suppose, selon l’arrêt Tyrer précité, des « mesures de nature à créer chez des individus de sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier, à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale.
Il s’agit donc d’avoir été poussé à agir contre sa volonté et sa conscience ou d’avoir été grossièrement humilié.

Face à ces définitions, la Commission relève que toute torture constitue en même temps un traitement inhumain et dégradant et que tout traitement inhumain est nécessairement dégradant.

C’est dire qu’il y a une véritable hiérarchie des seuils de souffrance : le traitement dégradant est le seuil minimum de déclenchement de l’article 3, tandis que le traitement inhumain est le seuil intermédiaire et la torture le seuil supérieur.
Cette hiérarchie a pour effet direct d’élargir la portée de l’article 3 permettant de sanctionner des faits allant de la torture (arrêt Selmouni contre France) jusqu’au châtiment corporel par fustigation (arrêt Tyrer contre Royaume-Uni).

Ce minimum de gravité ne peut cependant être que relatif. Les juges européens doivent en effet se livrer à une appréciation « in concreto » des différentes situations.

B. Le critère de l’appréciation relative :

Le critère de l’appréciation relative permet de procéder à l’évaluation de la gravité des actes incriminés et, au terme d’une analyse effectuée au cas par cas, de classer tel ou tel fait dans l’une des catégories de l’article3.

L’appréciation relative du seuil de gravité dépend, selon la formule habituelle consacrée par l’arrêt Irlande contre Royaume-Uni précité de « l’ensemble des données de la cause », lesquelles recouvrent à la fois des paramètres internes et externes.

Concernant les paramètres internes d’abord, il s’agit notamment, selon la Cour, « de la nature et du contexte du traitement ou de la peine, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques et mentaux, ainsi que parfois de l’âge, du sexe, et de l’Etat de santé de la victime » (arrêt Soering).
Dans l’affaire Selmouni par exemple, le caractère répété et prolongé, « odieux et humiliant » des sévices exercés sur le requérant, a conduit la Cour à relever que les actes de violence physique et morale commis ont provoqué des douleurs et souffrances aiguës revêtant un caractère particulièrement grave et cruel et donc à retenir la qualification de « torture ».

Concernant les paramètres externes, ils tiennent au contexte socio-politique dans lequel s’inscrit l’affaire en cause. Cela permet de prendre en compte l’évolution des sociétés démocratiques depuis 1950 et de déterminer l’appréciation relative du seuil d’intensité.

Dans cette perspective, on peut noter l’évolution apportée par l’arrêt Selmouni en 1999.


II. Une évolution interprétative avec l’arrêt Selmouni :


L’arrêt Selmouni contre France du 28 juillet 1999 a marqué une importante évolution jurisprudentielle.
La Cour, en formation de grande chambre, y a donné une nouvelle définition, plus large, de la notion de torture.

Dans cette décision, le juge européen commence par reprendre le critère de distinction entre torture et traitements inhumains tel que posé dans l’affaire Irlande contre Royaume-Uni, mais ajoute ensuite un nouvel élément d’appréciation tiré de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984. Cette dernière, dans son article 1er, définit la torture comme un acte par lequel des souffrances « aiguës » physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne par un agent de la fonction publique, ou à son instigation, dans un but déterminé (aveu, punition, intimidation,…). Avec l’arrêt Selmouni, la qualification de torture sanctionne donc plus rigoureusement les violences policières.

Dans ce même arrêt, la Cour rappelle que sa jurisprudence est évolutive, et que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelle qui doit s’adapter au changement social. Elle considère que certains actes, autrefois qualifiés de traitements inhumains ou dégradants, et non de torture, pourraient recevoir une qualification différente à l’avenir. Ainsi, le caractère intangible du droit garanti par l’article 3 n’en interdit pas une approche évolutive.

Au travers d’une telle interprétation des concepts, la Cour européenne des droits de l’homme a cherché à donner une protection maximale aux victimes potentielles de l’article 3. C’est également dans cette optique qu’elle a opéré un renversement de la charge de la preuve en la matière.


III. Renversement de la charge de la preuve en matière de protection d’un droit fondamental :


Selon une jurisprudence classique, la preuve des mauvais traitements commis par les agents publics doit être établie au-delà de tout doute raisonnable, ce qui suppose en pratique que le requérant fournisse des certificats médicaux attestant de sévices corporels.

L’arrêt Selmouni parachève l’évolution jurisprudentielle engagée par l’arrêt Tomasi contre France du 27 août 1992 en confirmant le renversement de la charge de la preuve ; renversement opéré au détriment de l’Etat défendeur. Elle édicte ainsi une véritable présomption, les organes de contrôle considérant comme établis les allégations des intéressés en l’absence de preuve ou d’explication contraire apportée par l’Etat défendeur.

La mise en œuvre de l’article 3 s’en trouve ainsi sensiblement facilitée. A présent, « à l’égard d’une personne privée de sa liberté, l’usage de la force physique, qui n’est pas strictement rendue nécessaire par le comportement de ladite personne, porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 ».
Ce principe vaut également pour les brutalités policières commises au Cours d’une arrestation et pour les violences causées aux détenus par le personnel pénitentiaires.
Il appartient dès lors aux autorités nationales de démontrer que le recours à la force n’a pas été excessif.


La Cour souligne dans l’arrêt Tomasi que les nécessités de la lutte contre le crime « ne sauraient conduire à limiter la protection due à l’intégrité physique de la personne ». C’est donc tout usage de la force sur une personne en situation d’infériorité qui est prohibé par l’article 3. Ainsi, le juge européen considère qu’un tel recours à la force physique atteint en soi le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Cette décision marque une inflexion avec la jurisprudence antérieure, facilitant le déploiement de l’article 3 dans le domaine des brutalités ou sévices perpétrés dans le cadre d’interrogatoires policiers.

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