COUR DE CASSATION, Chambre criminelle
22 janvier 1991
REJET du pourvoi
La cour
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation
pris de la violation des articles L. 132-2, L. 132-19, L. 212-5 et R. 261-4 du Code du travail, des articles L. 431-4 et suivants et L. 422-1 et suivants du même Code, des articles 2 et 3 du traité de Rome, des articles 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dit pacte de New-York et l'article 6.2 de la charte sociale du 18 octobre 1961, des articles 6 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, du préambule de la Constitution de 1946 ensemble l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, et manque de base légale :
en ce que la cour d'appel a, sur le fondement de l'article R. 261-4 du Code du travail, condamné Boutet à 39 amendes de 100 francs chacune pour infraction à l'article L. 212-5 du Code du travail ;
aux motifs que Boutet, qui a versé à la procédure le procès-verbal d'accord du 22 mai 1986 sur la modulation des horaires de travail conclu entre la direction de Valcar et les représentants du personnel désignés par le comité d'entreprise en l'absence de délégués syndicaux, prétend que cet accord pouvait régulièrement le dispenser d'appliquer à ses salariés la majoration pour heures supplémentaires ; que si Boutet pouvait effectivement se prévaloir des dispositions de l'article 1er de l'accord collectif national étendu du 17 juillet 1986 qui permettent aux entreprises relevant de la branche d'activité de la métallurgie de moduler les heures de travail, il ne pouvait néanmoins, à défaut de dispositions spécifiques dudit accord ou d'un accord d'entreprise au sens des articles L. 132-2 et L. 132-19 du Code du travail, déroger à la règle du paiement de la majoration de salaire prévue par l'article L. 216-5 du Code du travail ;
1o) alors que, d'une part, dans les entreprises où n'existe pas de section syndicale, un accord collectif dit atypique peut être valablement conclu par le comité d'entreprise avec la direction de l'entreprise ; qu'il en résulte que l'accord de modulation litigieux était régulier et faisait écran aux poursuites contraventionnelles ;
2o) alors que, d'autre part, la possibilité de conclure un accord collectif de modulation du temps de travail ne saurait être fermée au sein des seules entreprises ne comportant pas de délégués syndicaux ; qu'aucun monopole syndical ne saurait être consacré en la matière sans discrimination prohibée au préjudice de l'ensemble des travailleurs d'une entreprise dénuée de représentation syndicale organisée et sans qu'il soit porté une atteinte au moins indirecte à la liberté personnelle pour chacun des salariés d'adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat ;
3o) alors que, de troisième part, réserver aux seules entreprises comprenant une représentation syndicale organisée la possibilité de conclure un accord de modulation du temps de travail est de nature à affecter indirectement mais avec certitude la concurrence équitable devant exister entre les entreprises appartenant aux Etats membres de la Communauté économique européenne ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et du procès-verbal de l'inspecteur du Travail, base de la poursuite, que dans l'entreprise Caravanes Val-de-Loire gérée par la société Valcar, dont Claude Boutet était le directeur général, était applicable l'accord collectif national de la métallurgie du 17 juin 1986 sur l'aménagement du temps de travail qui prévoit la possibilité d'une modulation hebdomadaire du temps de travail mais ne dispense pas l'employeur du paiement de la majoration des heures supplémentaires calculées pour chaque semaine civile au-delà de 39 heures, sauf si une dérogation à cette règle est décidée par accord d'entreprise ou d'établissement ; que l'inspecteur du Travail a constaté que, pendant la période du 2 novembre au 13 décembre 1987, trente-neuf salariés de cette entreprise ont travaillé plus de 39 heures par semaine sans percevoir de majorations de salaires et bien qu'aucun accord collectif d'entreprise n'ait été conclu à cet égard entre l'employeur et les organisations syndicales ; que Claude Boutet a été poursuivi pour infractions aux dispositions de l'article L. 212-5 du Code du travail et a été déclaré coupable ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris et pour rejeter l'argumentation du prévenu qui faisait valoir qu'en l'absence de section syndicale il avait conclu un accord sur la modulation de l'horaire hebdomadaire du temps de travail avec les représentants du personnel désignés par le comité d'entreprise, la juridiction du second degré énonce, tant par motifs propres que par des motifs adoptés des premiers juges, que l'aménagement du temps de travail a été strictement réglementé par la loi du 19 juin 1987, que le législateur a accordé aux organisations syndicales le monopole de conclure des accords dérogatoires aux prescriptions légales, notamment en ce qui concerne le paiement de la majoration pour heures supplémentaires, que l'accord conclu par le prévenu avec les représentants désignés par le comité d'entreprise ne constitue pas un accord collectif au sens des articles L. 132-2 et L. 132-19 du Code du travail ; qu'elle en déduit que si Claude Boutet pouvait se prévaloir de l'accord collectif national de la métallurgie pour moduler la durée hebdomadaire du travail, il ne pouvait, faute de dispositions spécifiques dudit accord et en l'absence d'un accord collectif d'entreprise, déroger, à la règle prévue par l'article L. 212-5 du Code du travail et prescrivant une majoration de salaire pour les heures de travail accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet les accords d'entreprise ou d'établissement, prévus à l'article L. 212-8 du Code du travail et dérogeant aux dispositions législatives ou conventionnelles relatives aux heures supplémentaires, doivent être conclus par l'employeur, conformément aux prescriptions de l'article L. 132-19 dudit Code, avec les organisations syndicales de salariés représentatives dans l'entreprise au sens de l'article L. 132-2 ; qu'il ne résulte de cette obligation ni atteinte à la liberté des salariés d'adhérer ou non à un syndicat ni atteinte au principe de la libre concurrence entre les entreprises des Etats membres de la Communauté économique européenne ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation
pris de la violation des articles L. 212-5 et R. 261-4 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
en ce que la cour d'appel a, sur le fondement de ces articles, condamné Boutet à 39 amendes de 100 francs chacune ;
aux motifs que « la peine de 100 francs par contravention a bien été appréciée et appliquée avec raison autant de fois que de salariés concernés soit 39 fois ;
alors que la peine prévue par l'article R. 261-4 du Code du travail est modulée en fonction du nombre de salariés en cause ; qu'afin d'appliquer correctement cette peine et de mettre la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, il appartenait ainsi aux juges du fond saisis de la poursuite de déterminer et de relever expressément quels salariés étaient concernés par l'infraction ; qu'en s'abstenant, comme les premiers juges, de procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal de l'inspecteur du Travail, base de la poursuite, que trente-neuf salariés différents dont la liste est donnée dans une annexe de ce document, étaient concernés par les infractions commises par le prévenu ; que la cour d'appel qui s'est expressément referrée à ce procès-verbal n'était pas tenue de s'expliquer sur les constatations qu'il contenait et qui n'étaient pas contestées ;
Que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE
le pourvoi.